La beauté de l’usure (série 2)

Des lichens, des champs de colza, des fronts de mer. Des orages, des peaux, des roches. Il y a de l’organique dans le minéral, de la bruine dans le vide, de l’infini dans l’imprécis. Tout est vrai, tout est faux.Tant pis, tant mieux, car puisque les apparences sont trompeuses, autant jouer avec elles. S’ouvrir à l’imaginaire comme l’enfant se laisse emporter par le théâtre des nuages. Il plie les genoux, retient son souffle, cadre les traces au sol fatigué par les saisons.

Précis, rigoureux, son 50 millimètres tenu d’une main ferme, il isole une marque, une texture, un métissage. Bien sûr, notre regard donne aux éléments des teintes et des saveurs. Si l’art est partout, la beauté est sous nos yeux. Il suffit de se porter au-delà de l’érosion, de la rouille et de la ruine. Apparaissent alors des esthétiques inédites et fragiles, des aurores australes et des animaux chimériques, des scènes quotidiennes ou des paysages insolites.

Ainsi l’obsolescence peut-elle nourrir le renouveau, la chute préparer la renaissance. Les balises auxquelles on ne prêtait plus attention se font témoins bavards. A celui qui se rend disponible, elles racontent dans leurs contrastes à la fois leur propre histoire et mille autres récits. Un dialogue chamarré débute. Dans un souci de vérité, et parce que la lumière est l’essence, il reviendra s’il le faut pour capter au plus près le monde urbain tel qu’il se donne, nos mondes tels qu’on se les donne.

Il immortalisera l’éphémère, puis s’en ira sur la pointe des pieds, silencieux et respectueux. Tout à l’heure, la nuit déguisera ces bouts de signes de singes debout. Demain, les feuilles mortes puis la neige viendront les couvrir. Après-demain, du goudron frais les fera oublier. Certaines, qui sait, seront restaurées. Elles reprendront alors leur fonction première de guides. Ces signes, ces symboles, ces écritures organiseront à nouveau nos vies, nous rappelleront où aller, où nous arrêter, quelles voies emprunter.

En attendant, Christophe Florian les préserve de l’effacement. Il nous les rend plus riches, plus profondes et dynamiques. Il révèle la beauté de l’usure. Voir au-delà des ravages du temps, se porter plus loin que le chaos. N’est-ce pas là aussi une invitation à mettre de l’ordre dans le désordre du temps, des machines et des hommes ?

Thomas Sandoz - www.ccdille.ch